Une “occultation” est sans aucun doute l’un des spectacles les plus étonnants qu’un astronome amateur puisse observer. Les occultations sont similaires aux éclipses en ce sens qu’elles impliquent le passage d’un objet céleste devant un autre.

Ce processus crée une opportunité astrophysique d’étudier la nature d’un ou des deux objets et offre aux astronomes professionnels et amateurs des chances de poursuivre leurs recherches pour soustraire de précieuses informations relatives aux objets observés.

Au sein de notre système solaire, des milliers de petits corps existent, appelés astéroïdes qui orbitent généralement entre les orbites de Mars et de Jupiter (la ceinture principal d’astéroïdes) et au-delà de l’orbite de Jupiter (centaures et objets trans-neptuniens). Ils sont généralement trop petits et trop éloignés pour être imagés avec précision par des télescopes terrestres. Toutefois, nous pouvons étudier indirectement la forme et la taille d’un astéroïde en plaçant un observateur avec un télescope dans la trajectoire projetée d’une occultation d’astéroïde.

Une occultation se produit lorsqu’un astéroïde passe devant un objet plus éloigné – une étoile – et recouvre la lumière qui en provient.

Ceci dit, Comment prévoir une occultation d’étoile ?

Pour calculer une occultation, les astronomes prédisent d’abord la trajectoire de l’ombre de l’éclipse à travers la terre en se basant sur l’orbite connue de l’astéroïde et la position très précise de l’étoile à occulter.

En effet, les éléments orbitaux des astéroïdes sont consignés par l’organisme chargé des planètes mineures à savoir le MPC. Ces éléments orbitaux sont constamment mis à jour suite aux détections et observations faites par les astronomes professionnelles et amateurs à travers la terre. Alors que l’identification de la position précise des étoiles est faite en se référant à des catalogues d’astrométries qui délivrent la position très précises des étoiles dans la voute céleste. Plusieurs catalogues peuvent être utilisés pour la fonction d’astrométrie mais chacun présent des limites notamment le nombre d’étoiles cataloguées.

Toutefois, le catalogue Gaia reste la référence en la matière. Ce catalogue a été publié en 2016 dans sa version DR1 (Data Release 1) qui recense la position exacte de près de 1,1 milliard d’étoiles. Le second catalogue ou la DR2 a été livrée deux ans plus tard où 1,7 milliard d’étoiles ont été référencées. Puis en 2020, le catalogue Gaia à connu la sortie de la version EDR 3 qui comporte les données astrométriques (position, distance et vitesse) de plus de 1.8 milliard d’étoiles. C’est ainsi que l’utilisation de Gaia comme catalogue de référence et la mise en œuvre récente d’un modèle d’erreur amélioré pour l’astrométrie d’occultation offrent l’opportunité de tester les performances astrométriques globales sur l’ensemble des données existantes d’événements observés.

Etant donné que les astéroïdes, à de très rares exceptions près, sont trop petits pour être résolus avec des télescopes au sol, les occultations d’astéroïdes sont le seul moyen direct de mesurer leurs tailles et formes.

Mesurer leur taille et forme ! Comment ?

Les astronomes font recours aux observatoires installés sur la trajectoire de l’éclipse ou à défaut installent des dizaines de télescopes le long d’une ligne perpendiculaire à cette trajectoire et attendent que l’astéroïde éclipse l’étoile.

Ils comptent la durée pendant laquelle la lumière de l’étoile en question s’éteint et/ou clignote lorsque l’astéroïde passe devant lui, puis utilisent la vitesse connue de l’astéroïde pour calculer sa taille.

Il faut noter que la durée d’occultation est différente à chaque point de la ligne où les télescopes sont stationnés, ce qui fait que chaque position de télescope correspond à une ligne différente à travers l’astéroïde. C’est ainsi que les scientifiques peuvent également déterminer la forme d’un astéroïde en combinant les données de chaque télescope.  

En observant plusieurs occultations du même astéroïde, les astronomes peuvent capturer différents côtés de l’astéroïde et combiner leurs projections de silhouette en deux dimensions dans un modèle de forme en trois dimensions. C’est ainsi que si plusieurs observateurs enregistrent un tel événement à l’aide de caméras astronomiques avec un timing précis, les moments où ils voient l’occultation aident à mesurer la forme de l’astéroïde. Et puisque nous connaissons la vitesse de l’astéroïde, la durée de l’occultation peut être convertie directement en longueur. Cela permet aux scientifiques de reconstruire la taille et la forme de l’objet.

La technique des occultations stellaires, grandement améliorée par la publication des données de Gaia, permet aussi la récupération d’astrométries supplémentaires très précises, avec un impact pertinent possible sur l’étude des propriétés dynamiques.

En effet, lorsqu’un astéroïde occulte une étoile, sa position du point de vue de l’observateur coïncide avec celle de l’étoile cible. Cependant, une incertitude générale existe concernant la position exacte de l’étoile par rapport au centre de masse de l’astéroïde durant l’intervalle de temps pendant lequel elle est cachée. Cette incertitude, liée à la forme et à la taille de l’astéroïde, doit être soigneusement évaluée, mais bien sûr son amplitude en termes absolus est réduite proportionnellement à la taille du corps occultant.

Mais, où sont les astronomes amateurs dans tout ça ?

Souvent l’ombre de l’éclipse due à l’occultation d’étoile passe soit à côté des observatoires professionnels, soit passe au-dessus de quelques-uns. Or, il faut plusieurs d’observateurs (une dizaine voir plus) pour avoir le maximum de données exploitables. C’est ici que les astronomes amateurs sont sollicités pour les raisons suivantes :

1 – Les astronomes amateurs sont trop nombreux par rapport aux astronomes professionnels. Par conséquent, plusieurs seront bien placés dans l’ombre de l’éclipse.

2 – Ils utilisent souvent du matériel astronomique (télescopes) en mode nomade, c’est-à-dire qu’ils peuvent se déplacer pour bien se positionner par rapport à la ligne d’éclipse.

3 – Les astronomes amateurs sont habitués aux techniques d’astrophotographie leur conférant des compétences techniques pour réaliser cet exercice sous les directives des professionnels.

Le 08 Juin 2022 à 01 h 52 min 18,1 s heure Universelle (UTC), une occultation été à l’œuvre où sa ligne d’éclipse passait par le Maroc, exactement depuis les observatoires de l’Oukaimeden. L’étoile objet de l’occultation porte le numéro 40917784405461553992 du catalogue Gaia ER3. Et l’ombre d’occultation se dresse comme suite

– Les lignes droites et continues sont les limites d’ombre compte tenu du rayon estimé, lorsque l’ombre traverse la surface de la Terre, la trajectoire est projetée sur la Terre ;

– Chaque point bleu est espacé d’une minute et le gros point bleu correspond au temps d’occultation nominal ;

– La flèche indique la direction du mouvement de l’ombre ;

– Les zones en gris foncé correspondent à la pleine nuit (élévation du soleil inférieure à -18 degrés) et les zones en gris clair correspondent au crépuscule (élévation du soleil entre -18 et 0 degrés) tandis que la journée est en blanc ;

J’ai pu participer à cette compagne de détection d’occultation d’étoile par un astéroïde sous les directives du Directeur de l’observatoire de l’Oukaimeden. Cette mission a été à l’initiative du groupe spécialisé en la matière, à savoir Occultation Portal où plusieurs observatoires professionnels (MOSS, La PLPT, SLN) et amateur dont le nôtre (HAO) y ont participé où j’ai pu commander notre setup HAO1 durant cette mission scientifique.

La ligne rouge est le centre de l’ombre de l’éclipse et les marqueurs rouge et verts représentent quelques

observatoires qui ont participés à la mission.

L’étoile en question a une magnitude G (Gaia) de 16,6 et mes relevés photométriques suites aux analyses de mes acquisitions donnent des résultats concordants.

Coté astéroïde responsable de l’occultation, il s’agit de (95626) 2002GZ32 dont le diamètre est de 237 Km ! C’est un centaure découvert le 12 Avril 2002 par les observatoires de Mauna Kea depuis les sommets du volcan portant le même nom aux iles d’Hawaï. Les centaures tels que (95626) 2002 GZ32 sont de petits corps du système solaire qui orbitent autour du Soleil entre les orbites de Jupiter et Neptune. En raison de leur grande distance au Soleil, les centaures, ainsi que les objets trans-neptuniens (TNO) sont considérés comme les corps les moins évolués et les plus vierges du système solaire, du moins du point de vue de leur composition. Cela signifie qu’ils ont conservé les informations initiales sur la composition des matériaux et les conditions physiques de la nébuleuse solaire primitive. Par conséquent, l’étude de ces corps révèle de nombreuses informations sur l’origine et l’évolution du système solaire depuis ses phases initiales.

Il faut noter d’une part que l’occultation en question ne durera au total qu’à peine 13,7 secondes ! Ce qui implique qu’il faut adapter les temps d’expositions qui doivent être les plus courts possible, et d’autre part, l’étoile objet d’occultation est de magnitude 16,6 et il est impératif que le temps d’exposition soit suffisant pour que l’étoile soit visible sur nos brutes.

Là, on est face à un paradoxe où il faut des temps d’exposition trop courts (presque du lucky imaging) et des temps d’expositions suffisamment long pour que le signal de l’étoile soit capté par le capteur ! La solution est d’avoir un télescope de grand diamètre.  En effet, plus le diamètre du télescope est conséquent, plus il récoltera de la lumière et plus on aura de la marge pour réduire les temps d’expositions unitaires pour coller à celui recommandé par le groupe, à savoir : 2 secondes qui représente la totalité lors de l’occultation.

Notre setup HAO 1 dispose d’un télescope planewave CDK 12,5’’ soit 318mm de diamètre où 2s seront presque insuffisante pour capturer des objets de magnitude 16,6. Par précaution, j’ai choisi une exposition de 8s au détriment de rater l’occultation totale et de n’avoir au final qu’une partielle.

Les recommandations du groupe prévoient de débuter l’observation 5 minutes avant l’évènement, puis enchainer 5 autres après l’occultation. Cela veut dire que le début de la séquence commencera à 01 h 47 min 18 s jusqu’à 01 h 57 min 18 s UTC.

Une exposition de 8 s lors de l’acquisition.

Dans cet immense champ, il est très difficile d’identifier notre étoile cible ! Voici une image cropée du même champ où j’ai entouré notre protagoniste.

Oui, c’est encore trop minuscule pour la voir ! Mais pas pour les logiciels d’analyse et de photométrie

Apres avoir calibré les acquisitions, une visualisation depuis l’utilitaire blink sous le logiciel Tycho tracker (ou Pixinsight….) est nécessaire afin de vérifier si l’occultation est positive ou négative. J’avoue que j’étais très excité quand j’ai constaté que l’occultation est belle est bien captée.

Vérification sous blink faite, j’ai entamé par la suite une analyse photométrique sous le logiciel Tycho tracker puis j’ai envoyé le résultat et mes images brutes dans le cloud du groupe Occultation Portal.

La réponse n’a pas tardé et un mail m’a été envoyé par le responsable du groupe confirmant que le résultat est positif bien que l’occultation n’était que partielle (je m’attendais à ça, vu que le temps de pose de 8s dépasse celui recommandé par le groupe).

Une analyse photométrique du flux relatif de l’étoile m’a été adressée dans le même mail. Cette analyse est faite sur la base de mes subframes envoyés au groupe (77 au total).

On remarque que le Plot numéro 37 qui correspond à l’image où l’occultation s’est déroulée présente une baisse du flux de l’étoile occultée. Cette baisse reste quand même significative par rapport à un temps d’exposition quatre fois plus important au celui recommandé.

Cela indique aussi que l’occultation n’est pas totale dans mon cas et qu’elle n’est que partielle d’une part, et d’autre part, le flux de l’étoile a subi une baisse de l’ordre 76 % suite à cette occultation partielle.

L’idéal est que la baisse du flux relatif soit de l’ordre de 100 % (il fallait des expositions de 2s !) pour que l’occultation soit totale. Mais j’estime que cette première expérience était si chargée d’enseignements pour me pousser d’aller encore plus loin dans le domaine de la recherche scientifique collaborative entre professionnels et amateurs.